Économie du vélo, le cycle vertueux

Oct 29, 2015

Recherche et développement, fabrication, commercialisation, infrastructures, communication et événementiel, services publics et privés… Quand on parle vélo, il faut prendre en compte toutes ces activités et les professions trop méconnues que le cycle génère. Et que soupçonne-t-on moins que cette complexe économie du vélo ? Sans doute son expansion galopante. De là à dire que si l’on souhaite participer à la relance de l’économie tant invoquée et bien longue à s’exaucer, il faut pédaler le plus possible… il n’y a qu’un pas. Avec la crise, avec un creusement des inégalités aussi manifeste que l’augmentation du chômage et l’épuisement des ressources fossiles, le secteur a de multiples raisons de décliner ses arguments économiques. Si l’organisation professionnelle ne date pas d’hier (le Conseil national des professions du cycle remonte à 1890), elle a aussi du chemin pour se faire connaître, se faire entendre et convaincre de son poids économique grandissant.

A LA RECHERCHE DU LOBBY DU VÉLO

Pendant longtemps, le vélo a fait figure de « véhicule du pauvre », et l’image a du mal à se dissoudre. Un bien de gens modestes, pouvait-on prétendre, ne peut pas engendrer une industrie innovante, encore moins exportatrice d’un savoir-faire et d’une notoriété. Alors même, rappelle Nicolas Mercat (Indiggo) que l’industrie française du cycle « a longtemps été leader mondial, tant dans l’assemblage complet de vélos que les cadres ou les composants » et a bénéficié d’une réputation mondiale pendant près d’un siècle. Rien qu’à Saint-Étienne, capitale incontestée de la bicyclette et de la pièce détachée, on comptait ainsi 6500 personnes travaillant dans la fabrication et l’assemblage des cycles en 1950. Las, l’industrie et les services vélo ont souffert du désintérêt des pouvoirs publics, de la baisse de la pratique, de la concurrence étrangère (notamment asiatique) et des évolutions de la consommation((Eric SERRES, La vért(itable) histoire du vélo à Saint-Etienne, L’Humanité.fr, 18 juillet 2014)) ; en moins de trente ans, à partir de la fin des années 1970, les effectifs se sont effondrés. Après avoir été durement malmenés malgré le rebond des ventes entraîné par le VTT, les constructeurs se sont repositionnés sur des vélos (très) haut-de-gamme, plus généralement sur des marchés de niche comme le montage de vélos en libre-service, la fabrication artisanale et la réparation de cadres en carbone…((Cycles : la petite reine stéphanoise détrônée, Le Progrès, 24 juillet 2011)) Certains ont fait les frais d’un manque d’innovations, de créativité et de dynamisme commercial, d’une taille et d’une productivité trop fragiles((Les fabricants français de vélos cherchent à rester en piste, L’Usine Nouvelle n°2694, 1er juillet 1999)). Portés par l’essor du vélo urbain, des triporteurs électriques ou des vélos à assistance électrique (VAE), des nouveaux venus tirent leur épingle du jeu, comme Nihola (Loire-Atlantique et Vendée), Cycle Me (Vosges) ou encore Néomouv (Sarthe).

Aujourd’hui, malgré le lobby du vélo urbain (représentés par la FUB, Départements et Régions cyclables, Club des villes et territoires cyclables, Club des parlementaires pour le vélo…), les structures représentant les intérêt de l’industrie comme le COLIBI (Comité de Liaison des Fabricants Européens de bicyclettes), la FPS (Fédération Professionnelle des Entreprises du Sport et des Loisirs) ou encore le CNPC (Conseil National des Professions du Cycle), devenu récemment Univélo, ont bien des difficultés à faire entendre une voix commune. Le Comité de promotion du vélo, qui rassemble les principaux acteurs du vélo depuis 2001 et organise la Fête du vélo, semble par exemple rester dans un profond sommeil. « Bien sûr, nous essayons en toute humilité d’avoir de l’influence, mais je ne pense pas qu’on puisse parler de lobby comme il en existe dans l’automobile«  explique Virgile Caillet, délégué général de l’Union nationale de l’industrie du vélo (Univélo). « Nous nous considérons davantage comme un syndicat professionnel, qui cherche à se positionner en amont de l’information et à apporter son avis sur la question. Cela a bien marché pour le décret de 1995((Le décret n°95-937 du 24 août 1995 dispose que « les bicyclettes doivent être conçues pour tenir compte de l’usage auquel elles sont destinées ». Tout vendeur doit respecter à partir de cette date la livraison de vélos complétement assemblés et réglés. Avec l’explosion du marché des VTT, on trouvait alors massivement des VTT en kits venus d’Asie, considérés comme les professionnels comme de la concurrence déloyale. Les vélos en question pouvaient de plus ne pas être en conformité avec les exigences européennes de sécurité, ce qui est depuis obligatoire.
Voir http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000555331&categorieLien=id)). Sur d’autres questions, comme l’indemnité kilométrique vélo, il est clair que nous ne sommes pas les plus influents, mais nous toilettons nos statuts
« . Les structures d’influence ne sont pas assez mûres pour atteindre l’objectif louable d’exprimer de manière coordonnée la légitimité économique du soutien à la filière vélo, notamment l’industrie hexagonale restante. Excepté certains industriels et les revendeurs, il faut cependant garder en tête que les activités de la plupart des structures et entreprises du vélo reste naissantes, au mieux balbutiantes, souvent fragiles. A la question essentielle du budget s’ajoute cette difficulté, pas des moindres, pour s’organiser en lobby. Pour Virgile Caillet, le principal obstacle est culturel, et c’est dans cette optique qu’ont été soutenus la Fête et les Trophées du vélo. Le vélo continue de laisser une image d’insécurité, voire de pauvreté, lente à se déconstruire ; plébiscité, customisé, remonté et transformé par les jeunes urbains, il poursuit aussi  son processus de « rajeunissement » jusqu’à engendrer des phénomènes surprenant, comme la généralisation des fixies, vélos légers à pignons fixes venus des Etats-Unis. En résumé, le secteur, malgré ses ambitions, ne joue un rôle que secondaire dans le soutien à des initiatives politiques, bien moins que le lobby automobile, qui entretient des relations étroites avec les décideurs politiques. Fait révélateur de son manque de structuration et de représentativité : évaluer l’ensemble du poids du « secteur vélo » dans l’économie française est « une opération difficile, dans la mesure où la comptabilité nationale n’isole spécifiquement le vélo que pour la fabrication de bicyclettes. Toutes les autres activités économiques liées à la pratique du vélo sont mélangées dans différentes nomenclatures d’activités« .

SCENARIO DE RATTRAPAGE

Cette confusion administrative que rappelait la vaste étude consacrée au sujet en 2009, confiée à Inddigo / Altermodal par Atout France((Atout France, Spécial économie du vélo. Lire l’étude complète sur http://www.veloscenie.com/contenus/espace-pro/rapport-economie-du-velo-altermodal.pdf)), n’aide pas. Il n’en est pas ainsi chez tous nos voisins, en tout cas ceux qui ne sont ni dans l’abandon ni dans le grupetto. Et pour cause, le potentiel économique du vélo ne revêt aucun mystères aux yeux des pays où le vélo est devenu art de vie. En 2014, selon la Commission économique pour l’Europe des Nations Unies, le vélo représente à Berlin plus de 2000 emplois, soit probablement autant que dans l’Ile-de-France. Amsterdam, avec plus de 1600 postes, compte 1 emploi pour 700 habitants, contre 1 pour… 7000 à Paris (305 emplois). Les pays du Nord ont très bien compris qu’en augmentant la part modale du vélo, ils ont décuplé les emplois. Pour cela, la mise en œuvre d’un « système vélo » d’envergure (conjugaison d’infrastructures, de services et d’actions de promotion) est indispensable, car il n’y a pas que les différentiels de pratiques qui soient à chercher dans les investissements et l’organisation d’acteurs économiques publics et privés. Le poids économique du vélo entre les pays est aussi une conséquence du manque d’investissements, qui n’ont pas besoin d’être démesurément massifs pour être efficaces. L’ECF (Fédération européenne des cyclistes) recommande que 10% du budget des transports à chaque échelon politique soit consacré au vélo. C’est en tout cas la voie à suivre si la France souhaite rejoindre le peloton de tête européen (Danemark, Suède, Pays-Bas, Hongrie…) où chaque habitant parcourt plus de 300 km par an, contre 90 chez nous (en 2014). Rien qu’une meilleure coordination des investissements entre pays, mais aussi à l’intérieur des États et entre collectivités locales, auraient des conséquences profitables. En particulier, donc, ceux apportés par les financements publics des collectivités locales, à qui on attribue plus de 10% des dépenses en vélo, équipement et fourniture en France. En France, l’État participe en effet de manière extrêmement faible à ces dépenses, sans que les collectivités compensent encore cette carence.

UN POIDS ÉCONOMIQUE MÉCONNU

Toutefois, on peut depuis quelques années mieux se figurer ce que représente l’économie du vélo. Au tournant de cette décennie, le tourisme à vélo était et reste sa première contribution : 44% du chiffres d’affaires, dont 50% en hébergement, restauration et transports. Avec selon les dernières statistiques huit millions de séjours français et 1.7 M de séjours étrangers, la France est depuis des années la première destination d’Europe pour les séjours en vélo. Selon France Vélo Tourisme, chaque kilomètre d’itinéraire aménagé engendre annuellement 60000 à 100000 € de retombées touristiques, et les retombées économiques couvrent les frais d’aménagements en maximum un an et demi. La fréquentation des véloroutes et voies vertes a augmenté de 12 % en 2014, bénéficiant de circuits bien structurés et identifiés (La Loire à Vélo, la Vélodyssée, le tour de Bourgogne, ViaRhôna…). Le commerce et l’industrie du cycle atteignaient eux respectivement en 2009 32% et 8% du chiffre d’affaires.

Les services vélos, du vélo en libre-service aux vélostations en passant par la location longue durée, représentent une croissance économique de plus en plus considérable ; or, ils sont également de plus en plus détachés des marchés publicitaires et très majoritairement financés par les collectivités. L’étude réalisée pour Atout France en 2009 faisait état d’un retour sur investissement élevé pour les collectivités avec 700 millions d’euros par an de recettes fiscales pour 500 millions d’euros par an de dépenses publiques. En période de disette budgétaire, les collectivités locales ont tout intérêt à envisager le vélo comme une manière de développer des mobilités alternatives, voire d’étoffer leur offre de transports publics. L’étude de 2009 estimait l’économie sur la consommation d’espace de stationnement d’un usage quotidien du vélo par le plus grand nombre à 45 millions d’euros. Les montants peuvent fortement varier suivant les communes, mais en moyenne l’aménagement d’une place de parking en surface coûte 2500 euros et une en ouvrage 15 000 euros. Un arceau à vélo traditionnel pour ranger deux vélos revient à 100 euros. Et la différence des coûts des aménagements n’est que secondaire face aux bénéfices entraînées par la baisse de congestion (- 128 M€) et de la pollution (- 100 M€)…

LEVIER POUR L’EMPLOI

L’augmentation régulière des postes créés par les modes alternatifs ces dernières années laisse augurer des lendemains prometteurs. Les extrapolations que l’on peut tirer de la situation d’aujourd’hui, et sur lesquelles se construisent les études spécialisées, révèlent qu’un marché de l’emploi de la mobilité fondé principalement sur les transports en commun ou le vélo plutôt que sur l’automobile est bien plus performant et viable. La médiatisation de l’étude de la fédération européenne du cyclisme (ECF) publiée l’an dernier avait apporté quelques découvertes éclairantes. Notamment par cet indicateur, fruit d’un long travail de comptage pays par pays : quelques 650 000 emplois sont portés par le marché de la bicyclette dans les 27 pays européens (à l’exclusion de la Croatie). Plus que l’industrie de la chaussure ou que celle de l’acier dans le même espace ! La somme incluse là aussi en premier lieu l’industrie du cycle et de tous les équipements se rattachant au vélo, mais aussi leur commercialisation, la conception, l’aménagement et l’entretien des infrastructures vélo, les services administratifs et techniques des collectivités et des agences locales ou nationales, enfin tous les autres services d’entreprises privées ou associatifs. Parmi les acteurs les plus dynamiques, la France n’est pas à la traîne. Un peu moins de 70 000 emplois, soit environ 10% du total des « emplois vélo » européens, toucheraient directement ou non au vélo, nombre qui lui octroie la deuxième place du podium… derrière l’Allemagne et ses 221.000 emplois !

L’étude de 2009 apporte aussi un constat très intéressant, régulièrement vérifié : l’intensité en emplois correspondant à un chiffres d’affaires d’un million d’euros dans le secteur du vélo est plus élevé que pour n’importe quel autre mode de transport, quel que soit l’activité considérée. L’étude avait évalué ce nombre à 10 emplois contre 2,5 dans l’industrie automobile (2 pour le commerce auto, 6 pour l’équipement et la réparation auto). Par exemple, l’intensité en main d’œuvre de la construction d’aménagements cyclables est plus élevée que celle des routes. C’est le secteur des services (Vélogik en fait partie !) qui affiche l’intensité en emploi la plus forte, avec celui des fédérations sportives, devant l’industrie ou le tourisme. Il navigue entre 15 à 20 employés par million d’euros de chiffres d’affaires. De quel meilleur rendement économique pourraient rêver nos gouvernants et décideurs économiques ? Nous ne sommes pas les moins bien placés pour en parler : Vélogik a créé pas moins de treize nouveaux postes au cours du premier semestre 2015. De là à dire que pédaler permettrait la fameuse inversion de la courbe du chômage… Côté rémunérations, si les salaires sont aujourd’hui en moyenne moins élevés dans le vélo que dans l’automobile, l’industrie et la distribution de cycles distribue à chiffre d’affaires égal deux fois plus de salaires.

Point faible toutefois : le chiffre d’affaires de la production reste majoritairement importée en Europe. Par exemple, pour prendre le cas de la France, la remontée en gamme se poursuit très lentement, parce que les grandes surfaces de vente à bas coût dominent largement les ventes, les entreprises françaises (Mavic-Salomon, Cycleurope, Promiles-Décathlon, Cycles Lapierre, Look Cycle…) ne produisent ou n’assemblent qu’environ un tiers des vélos vendus sur le territoire. Là aussi, le marché des vélos en libre-service et de location de longue durée de gammes supérieures à la moyenne offrent en partie déjà, depuis plusieurs années, des opportunités aux constructeurs et assembleurs nationaux. Et plus la pratique cyclable augmente, plus les usagers sont à la recherches de vélos confortables et solide, plus la demande de vélos haut-de-gamme progresse, et moins l’on a recours aux importations.

L’IRRÉSISTIBLE DYNAMIQUE ÉCONOMIQUE

Autrement dit et en prenant de la hauteur, cela signifie que l’augmentation des emplois liés au vélo de manière générale est susceptible d’être de plus en plus intense dans les prochaines années. Une étude menée par l’ECF l’an dernier peut ainsi vanter sans risque le « haut potentiel de création d’emplois du secteur » en expliquant même que, si ce marché venait à doubler, plus d’un million de postes seraient liés au cycle en Europe en 2020. Pour rappel, l’ECF évalue à plus de 65 000 les emplois existants en France, soit 10 % du total des emplois européens… et surtout deux fois plus que le nombre d’emplois calculé par l’étude de 2009 (35 000). Ce qui donne une belle idée de l’envolée du secteur plus qu’encourageante, alors que l’es conclusions de l’étude laissent présager 400 000 emplois de plus qu’aujourd’hui sur tout le continent. Utopique ? Rien n’est moins sûr avec le déploiement des derniers schémas directeurs cyclables ambitieux que déploient certaines grandes villes, la progression des infrastructures, des services et de la promotion dans la plupart des agglomérations, de l’application de l’indemnité kilométrique vélo (IKV) avant la fin de l’année, qui devrait inciter au report modal. De quoi espérer sans trop s’égarer 100 000 emplois dans le milieu du vélo français en 2020.

LE VAE DOPE LES VENTES

Tous ces facteurs continueront d’alimenter l’achat de vélo et de matériel, et donc d’alimenter le marché. Le développement du vélo électrique (VAE), dont la croissance du marché trace depuis quelques années une hausse exponentielle partout en Europe, parachève les ambitions. « On va de plus en plus parler des constructeurs en grande partie grâce au VAE, parce qu’il bouleverse la nature du cycle même et permet à des catégories de population, qui n’en auraient jamais refait autrement, de se remettre au vélo » se réjouit Virgile Caillet. Entre 2013 et 2014, le nombre de ventes a augmenté dans notre pays de 37%, après près de 100 000 VAE. Là aussi, la France ne peut espérer rattraper le niveau de l’Allemagne ou des Pays-Bas avant un bon nombre d’années. Outre-Rhin, c’est 500 000 VAE qui sont vendus chaque année, et 300 000 chez les Néerlandais. Ce type de vélo, dont Vélogik s’est fait une spécialité, n’a pas simplement une vocation récréative (effectuer de longues distances en touriste) ou d’assistance aux personnes dont la condition physique est trop délicate pour rouler quotidiennement en vélo traditionnel, comme les personnes âgées et peu endurantes. Le VAE peut revêtir autant d’usages qu’il n’a d’usagers ! Il permet de transporter avec plus de légèreté marchandises, courses et enfants, aide les livreurs à vélo, les vendeurs et les artisans itinérants dans leur travail quotidien, optimise les déplacements des salariés, et peut même se transformer en redoutable véhicule urbain de déménagement. Demain, l’introduction sur le marché du vélo à hydrogène, par exemple Alpha présenté récemment par Pragma Industries, sera peut-être à l’origine d’une nouvelle révolution dans la mobilité urbaine.

RICHESSE DES ACTIVITÉS

Le marché de l’emploi de l’industrie continuera à suivre la demande et et croître quantitativement, mais aussi qualitativement par la progression du nombre de professions différentes consacrées au secteur. Augmenter la part modale du vélo, c’est inventer, mettre en œuvre et généraliser toutes sortes de prestations, des services jusqu’aux opérations d’aménagement en passant par les ateliers d’auto-réparation. Si elle promet une palette de nouveaux métiers, l’économie du vélo requiert en premier lieu de bons techniciens, qui n’ont pas obligatoirement besoin d’un certificat professionnel – même si les formations CQP (certificat de qualification professionnelle) se multiplient depuis dix ans. La forte demande dans la production ou la maintenance laisse la porte ouverte à des personnes peu ou pas qualifiées et leur donne des opportunités d’emplois pérennes, d’autant que beaucoup de structures favorisent les clauses sociales d’insertion. Hormis pour la production qui n’est pas montée en gamme et qui souffre de la concurrence asiatique (par exemple l’industrie portugaise), les emplois sont très majoritairement impossibles à délocaliser.

LE VÉLO, SYMBOLE DE L’ÉCONOMIE QUATERNAIRE

Pour récapituler, si la part modale du vélo doublait dans l’ensemble du pays, 100 000 personnes travailleraient « dans le vélo » à l’aube de la prochaine décennie. Avec évidemment, un peu moins d’emploi pour les modes motorisés (industrie, vendeurs, garagistes, contrôleurs techniques, auto-écoles…), mais peut-on accuser les cyclistes de déroger au soutien de ce mastodonte de l’industrie tricolore ? En matière de patriotisme économique, les constructeurs français ne représentent qu’un peu plus de 50 % des parts de marché, et de moins en moins de voitures sont produites sur le territoire. Ensuite, le report modal a très peu d’influence sur ce secteur, contrairement à la montée en puissance de l’autopartage et de la location de voitures entre particuliers ; l’effet n’est pas aussi mécanique qu’on le pense communément. L’étude de 2009 évoquait en cas d’explosion de la pratique cyclable une perte progressive de 4600 emplois pour la filière automobile, qui atteint rien de moins qu’1,8 million d’employés. Un chiffre marginal, donc.

Enfin, les cyclistes qui prennent le vélo à la place de la voiture déportent leurs dépenses de mobilité, et plus largement en réduisent ou en augmente d’autres, qui profitent logiquement à des activités plus intenses en main-d’œuvre. En particulier grâce à ceux qui choisissent de louer un vélo de ville au quotidien ou de voyager à vélo, le tourisme cyclable étant très porteur pour la promotion des territoires comme de l’emploi. Le vélo pourrait contribuer davantage au maintien d’activités économiques dans les zones rurales les plus reculées. Partagé ou loué via des stations dans les villes, des offres longue durée ou entre particuliers sur des plateformes du net (à l’instar de la voiture), il est en tout cas appelé à devenir symptomatique des objets de « l’économie quatenaire », un concept défini par Michèle Debonneuil où la satisfaction des besoins vient davantage de produits qui ne sont ni des biens ni des services mais des solutions de mise à disposition de biens. D’autres préféreront parler au nom de la petite reine d’économie collaborative (avec pour leitmotiv l’augmentation des services et d’usage de biens en consommant moins de ressources et d’énergie), ou bien encore d’économie du partage.

…ET DE LA RELOCALISATION ?

Autant de manières parfois spéculatives de cerner ce cycle économique vertueux qui ne fait que commencer, et vient contredire le préjugé du vélo venant ralentir et entraver le dynamisme et les échanges économiques, notamment dans les centres urbains. Les commerçants y surestiment malheureusement la part des consommateurs venus en voiture (même dans les villes où la voiture n’a quasiment plus droit de cité !), pourtant beaucoup moins fidèles aux commerces indépendants et de proximité que les cyclistes et les piétons. Rien de plus faux que l’image « anti-économique » du vélo, nuisible à la prospérité et à la vitalité des villes. La bicyclette « contribue probablement mieux à l’économie locale que tout autre mode de transport. Les cyclistes vont plus souvent dans des les boutiques du coin, aux restaurants, aux cafés ou tout autres magasins que les utilisateurs d’autres types de transport », note l’étude d’Atout France, rappelant implicitement les nombreux travaux de l’économiste Frédéric Héran à ce sujet. Le chercheur spécialiste des transports a signé de nombreux papiers pour tenter d’expliquer ce comportement de fidélité, dont la moindre raison n’est pas les économies réalisées en matière de frais de transport grâce à l’usage du vélo. Le cycliste circule aussi dans un périmètre bien plus large de commerces qu’un piéton, fût-il descendu de sa voiture, sans que sa portée lui permette toutefois d’aller trop voir ailleurs.

Le cliché du vélo porteur d’impacts économiques néfastes a la vie dure, alors qu’il dynamise la relocalisation des activités et permet des économies substantielles à tous – et cela même sans considérer les externalités positives du vélo en matière de diminution des dépenses publiques de santé, de loin premier bénéfice économique du vélo. Ce que semble bien avoir compris les ministres européens des transports, signataires de la toute récente Charte de Luxembourg. Lors de cette réunion informelle, François Bausch, ministre du développement durable et des infrastructures, a insisté sur « l’énorme potentiel » en emplois du secteur. De quoi motiver les ministres à recommander l’intégration du vélo « dans la politique de transports multimodaux, les projets urbains locaux, régionaux et nationaux et les opportunités de financement ».

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