Le vrai-faux retour de la voiture

Juin 10, 2015

Le site d’information indépendant sur les transports Mobilettre a publié, au mois de février dernier((La voiture, retour en force, sur Mobilettre.com, 6 février 2015 http://www.mobilettre.com/le-retour-en-force-de-la-voiture)), un long et instructif papier sur un « retour » jugé jusqu’alors inimaginable : celui de l’automobile. Si le parc automobile français continue d’augmenter et frôle les 40 millions de véhicules immatriculés en 2015, la conscience des problèmes environnementaux soulevés par l’usage de l’automobile a elle aussi largement progressé. Comment expliquer alors la volte-face de certains maires, qui, depuis les élections municipales de l’an dernier, les conduit à prendre la décision paradoxale de redonner de la place à la voiture dans leur politique de mobilité ? C’est ce à quoi tente de répondre Mobilettre, dont nous partageons largement la conclusion rappelant que « l’automobiliste, décidément, semble bien plus fort que le citoyen ». Mais non sans quelques objections.

NON, LA VOITURE NE REVIENDRA PAS DANS LES CENTRES

L’évidence n’est plus à nier : du fait de l’attractivité économique des métropoles, jamais aussi puissantes qu’aujourd’hui, de l’augmentation de leur démographie et de la densification de l’habitat urbain, la limitation voire l’exclusion de la voiture sur ces territoires est un phénomène irréversible. Tout au moins peut-on assister à une pause dans le développement de la mobilité alternative, même si celle-ci paraît peu probable car comme toutes les études sur ce sujet le montre, la capacité d’attraction des villes françaises (et d’ailleurs) se mesure dorénavant à l’échelle européenne ; or, une grande partie des métropoles d’Europe de l’ouest rivalisent d’innovations pour accélérer la transition vers les mobilités alternatives, en n’oubliant pas de communiquer sur le dynamisme économique et l’image « verte » que cela leur procure. Le supplément spécial de la revue Terra Eco((Terra Eco, Le vélo sort toujours gagnant, supplément du n°68 de juin 2015)) réalisé à l’occasion du Congrès Vélo-city, la semaine dernière, parle à juste titre de « l’impératif » du désengorgement automobile qui inéluctablement oblige les collectivités, bon an mal an, à changer de regard sur la mobilité active. La société suit ce changement : dans les villes, le taux de motorisation diminue ou stagne((Marina ROBIN, La motorisation des ménages continue de s’accroître
au prix d’un vieillissement du parc automobile, La revue CGDD, décembre 2010 http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/fileadmin/documents/_shared/pdf/6_Revue_CGDD_Article6_voiture_08_12_10_cle57a8e2.pdf
)) ; les ventes de véhicules neufs font grise mine ; l’âge du parc national vieillit en même temps que celui de l’acheteur de voiture neuve((Marché : le parc automobile vieillit, Caradisiac.com, 17 juin 2014
http://www.caradisiac.com/Marche-le-parc-automobile-francais-vieillit-95376.htm
)); le pourcentage de jeunes qui passent le permis diminue de plus en plus depuis les années 1980((Grégoire FLEUROT, Pourquoi les jeunes n’achètent plus de voitures (neuves ?), Slate.fr, 15 juillet 2013 http://www.slate.fr/story/75185/pourquoi-jeunes-achetent-plus-voitures)).

Comme l’explique l’article, les villes moyennes, surtout celles qui ont changé d’équipe municipale en 2014, ont certes eu la (mal)chance de connaître un revirement en faveur de la voiture dans les prochaines années, ou l’ont déjà amorcé. Pau, Thionville, Narbonne, Montauban, Angers ont ainsi décidé de réduire les tarifs de stationnement ou de faciliter la circulation automobile en réinstaurant des zones 30 dans des zones anciennement piétonnes ou des double-sens à la place des sens uniques. Seulement, la prise de conscience de l’inefficacité de ces choix sur le chiffre d’affaires des commerçants est prouvé par toutes les études faites à ce sujet, dont les résultats sont de plus en plus médiatisés. Et outre l’impact important de la pratique du vélo dans la redynamisation économique des centres urbains, les volontés de redonner de la place aux automobilistes ne prennent pas en compte un fait important : la remise en cause de l’apaisement des centres peut désormais susciter une opposition aussi rapide que quelques mesures de faveur pour la voiture, aussi curieuses que probablement éphémères. Si une municipalité peut nier le phénomène, il ne faut guère de temps pour s’apercevoir que la crise urbaine de certains centres ne sera jamais résolue par davantage de place octroyée aux voitures. Comme le rappelle un intervenant du dernier film de Fredrik Gertten, Bikes vs Cars, la voiture privative n’a jamais constitué une solution satisfaisante aux problèmes de mobilité.

La crise urbaine de certains centres ne sera jamais résolue par davantage de place octroyée aux voitures.

Enfin, le prix des infrastructures de voirie s’avère de plus en plus pesant dans les budgets municipaux, d’autant que la France détient un record en la matière : le réseau routier constitue le premier patrimoine d’une commune française, avec 17 km en moyenne. En ville, difficile de faire la part des choses : les dépenses de voirie se confondent avec celles de l’espace public, donc les aménagements pour les transports collectifs et les modes actifs. Dans les petites villes de moins de 500 habitants (pas moins de 20 000 communes en France), le coût des dépenses d’équipements liées aux réseaux de voirie, quasiment exclusivement dédiés à la voiture, est mieux connu : environ 60 euros par an et par habitant((Les dépenses des communes de moins de 500 habitants en 2008, Bulletin d’informations statistiques de la DGCL n°74, juillet 2010 http://www.collectivites-locales.gouv.fr/files/files/BIS_74_version_en_ligne.pdf)).

L’IMPASSE DE LA VOITURE PRIVATIVE

La voiture électrique est souvent présentée comme la solution à tous nos maux((La voiture électrique : nouvelle solution pour lutter contre le réchauffement climatique ?, Mobilité durable.org, 15 avril 2015 http://www.mobilite-durable.org/se-deplacer-aujourd-hui/vehicules-electriques-et-hybrides/la-voiture-electrique–nouvelle-solution-pour-lutter-contre-le-rechauffement-climatique–.html)). Outre qu’elle ne résout en aucune manière la congestion, l’emprise du stationnement et ne répond pas aux nécessités et aux pratiques des transporteurs, elle pose aux usagers des problèmes d’autonomie et des temps de recharge très longs. Plus grave : elle va demander à l’Etat des dépenses d’infrastructures et de subventions inconsidérées au regard de la situation actuelle des comptes publics, sans pouvoir se justifier par la réduction des besoins en produits pétroliers, dont l’importation (à 99%) représente 90% du déficit commercial français, et par celle des émissions de CO2. A l’encontre de toute transition vers la mobilité servicielle, le « bonus Royal » de 10.000€ sur l’achat d’un véhicule électrique constitue un incroyable gaspillage d’argent public qui masque mal l’échec du développement de cette industrie. Contrairement à ce qui est souvent affirmée, la voiture électrique ne supprime pas mais divise simplement par deux les émissions de CO2, notamment du fait de sa fabrication très dispendieuse en terres rares, de l’usure des pneus et du recyclage des batteries. Les rejets de fonctionnement et d’usage perdurent. Pour ce qui est des voitures traditionnelles, la baisse constante des nouvelles découvertes de pétrole dans le monde ces dernières années (trois fois moins de barils découverts que consommés en 2014((On a découvert en 2013 moins de pétrole qu’on en a consommé, Reporterre.net, 27 janvier 2014 http://www.reporterre.net/On-a-decouvert-en-2013-moins-de))), malgré des investissements colossaux de la part des majors de l’or noir et un prix du baril très élevé ces dernières années, rend inéluctable à court terme un retour du prix du pétrole vers des sommets. Au niveau de l’autopartage, autre innovation mise en avant, un récent rapport de l’économiste Benjamin Dessus dans la revue Global Chance préconise de « réserver l’usage des véhicules électriques à des parcs spécifiques de type Autolib » en quantité limitée, et d’exiger des constructeurs la réduction de la consommation réelle des voitures. Seul le covoiturage présente un intérêt non négligeable pour la mobilité future, mais bien plus dans les liaisons entre villes que dans les centres eux-mêmes((Benjamin DESSUS, Véhicules électriques et environnement: une illusion coûteuse, Médiapart.fr, 24 novembre 2014 http://blogs.mediapart.fr/blog/benjamin-dessus/241114/vehicules-electriques-et-environnement-une-illusion-couteuse)).

LA LUTTE DES MODES

Enfin, faut-il parler de retour de la voiture quand celle-ci n’a en réalité jamais disparue du paysage urbain ? Lorsque l’étalement urbain, loin de pouvoir être qualifié de phénomène en voie de disparition, s’accélère ? Le flux automobile n’a jamais cessé d’être central dans les réflexions urbanistiques et de mobilité, dans la mise en œuvre d’infrastructures, jamais assez démesurées. Hormis quelques cas particuliers comme Paris où la circulation s’est vue réduite de 25% ces dernières années((Voies sur berges : Paris poursuit sa croisade antivoitures, Le Parisien, 4 septembre 2012 http://www.leparisien.fr/paris-75/voies-sur-berge-paris-poursuit-sa-croisade-antivoitures-04-09-2012-2149705.php)), la réduction de la place de la voiture a bien souvent été plus présente dans les discours que dans les actes, sans prise en considération de tous ceux qui ne peuvent ou surtout ne veulent utiliser une voiture individuelle.

Cependant, quelques villes ont amorcé il y a plusieurs années une politique favorable aux mobilités actives pour reporter les déplacements automobiles vers les transports en commun et le vélo, et ont même accentué leurs efforts ces derniers temps. Nantes, Bordeaux et Strasbourg, villes à l’honneur à Vélo-city Nantes, ont su ainsi au fil des ans assumer une rupture dans leurs politiques de mobilités et mettre fin à l’occupation abusive de la voiture dans l’espace public.

Privilégier les modes actifs revient à favoriser des usages plus judicieux de l’espace au détriment de la voiture individuelle.

Enfin, pas encore tout à fait, à en croire la répétition d’une formule creuse et politiquement correcte utilisée par certains élus lors des sessions de Vélo-city, invoquant la nécessité de ne « pas opposer les modes entre eux, mais à renforcer leur complémentarité » – comme la maire de Nantes Johanna Rolland. Bien sûr, les mobilités urbaines du futur ne se développerons pas sans être multiples et « complémentaires ». Preuve en est la métamorphose des acteurs du milieu : les opérateurs de transports en commun se mettent à fournir des services de location de voitures en libre-service, en même temps que les constructeurs investissent la mobilité partagée. N’empêche que privilégier les modes actifs par la réduction ou la suppression de la voirie pour les voitures, ou bien via la modération de la circulation, est le bouleversement majeur de notre mobilité : ce choix revient à favoriser des usages plus judicieux de l’espace au détriment de la voiture individuelle. Un choix politique, traduit dans l’espace, visible par tous, puissant facteur de la manière dont on vit la ville. Un choix pragmatique, parce que la voiture a depuis longtemps prouvé son inefficacité et ses coûts désastreux. Un choix de société, enfin, et non une fatalité, comme a semblé l’être le sacrifice des villes d’hier pour accorder la première place aux automobiles.

LE VELO, AVENIR DE LA VOITURE ?

Carlton Reid, le directeur du magazine britannique BikeBiz, l’a rappelé à Vélo-city : les moteurs des voitures sont issus de l’industrie du vélo au XIXe siècle, et plusieurs des technologies de pointe conçues pour les fabriquer et les améliorer ont été indispensables à la révolution automobile. Un grand nombre de fabricants de voitures ont d’abord été des fabricants de bicyclettes. Lionel Martin d’Aston Martin était un cycliste émérite (décédé à vélo, renversé par une voiture !), tout comme Henry Ford et William Morris. Charles Rolls alla jusqu’à gagner un prix à Cambridge pour ses aptitudes au cyclisme sur route. Lorsque l’Allemand Karl Benz conçut la première Patent-motorwagen en 1885, il alla se fournir à la Maison de la bicyclette de Francfort. Dès les années 1880, les essais d’amélioration et d’asphaltage des routes débutent en Grande-Bretagne grâce à la pression des cyclistes((Irene MCALEESE, « Roads were not built for cars », Carlton Reid at The Mac, Seesense.co, 8 juin 2014 http://seesense.co/carlton-reid/)). Ironie du sort : à l’heure où l’on parle du retour de la voiture, les constructeurs reviennent à leurs premières amours et se remettent à produire… des vélos. Mercedes-Benz a sorti un modèle avec la marque Rotwild, Smart et Peugeot rivalisent d’innovations en matière de VAE, Alfa Romeo poursuit son chemin dans le vélo haut-de-gamme, et Ford vient de présenter deux modèles étonnants de vélos pliables pour les particuliers et professionnels. Depuis ses débuts, Vélogik, d’abord à travers son offre de formations puis ensuite grâce à la gestion de larges parcs de vélos publics ou d’entreprise, a vocation à rappeler que le vélo peut de nouveau, après son immense popularité au XIXe siècle, révolutionner nos manières de nous déplacer. Étonnamment, il n’y a pas que nous qui portons cet espoir que la bicyclette devienne une alternative crédible et durable à la voiture… L’avenir des fabricants de voiture, lui aussi, a visiblement besoin du vélo.

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