LE VÉLO LOGÉ A LA MAUVAISE ENSEIGNE

A Paris. Le vélo est-il voué à rester derrière les vitrines comme argument de vente esthétique et « tendance » ? Crédits photo : Emmanuel Marin,
NOUVELLE ÉTUDE AMÉRICAINE
Aux Etats-Unis, le projet « Green Lane » du collectif « People for bikes » aide des grandes villes à se doter d’aménagements et d’infrastructures de qualité. A Salt Lake City (Utah), le bilan positif de la création d’une piste protégée dans la principale rue commerçante du centre-ville ne s’est pas fait attendre : elle a dopé le commerce. Convertir des espaces de stationnement, stérilisés entre autres par les résidents, en pistes cyclables de grande qualité a profité à l’intérêt général. 90% des commerçants ont vu leur ventes se maintenir ou augmenter, et 60% d’entre eux sont satisfaits de la requalification (plus de 20% « neutres », moins de 20% « non-satisfaits »). Voici quelques morceaux choisis de l’article qui fait état de cette initiative, traduit par nos soins :

Extrait de l’article, avec un visuel de l’aménagement réalisé sur le boulevard 300 South. Crédits photo : Ville de Salt Lake City.
[…] « Les clients et les employés adorent les pistes cyclables » déclare Jeff Telicson, directeur du restaurant Copper Onion. « Nous avons besoin de plus d’espace de stationnement pour les vélos ! ». […] « Les pistes cyclables et des limites de vitesse plus basses contribuent à calmer la circulation automobile et à accroître la circulation des piétons, qui sont tous positifs pour mes affaires. Mon chiffre d’affaires est en hausse de 20% depuis l’année dernière » explique un commerçant de la ville, John Mueller, propriétaire d’un magasin d’usine. »
UNE CLIENTÈLE PLUS FIDÈLE
2/ A chaque visite, l’automobiliste dépense plus que le cycliste pour rentabiliser son déplacement : la possession et l’usage d’une voiture coûte plus cher (assurance, réparations, contrôle technique, carburant…) et s’avère plus contraignant en termes de stationnement notamment.
3/ Mais si l’on considère non plus une seule visite mais un durée de temps donnée (une semaine, un mois, un an), le cycliste dépense plus que l’automobiliste et reste plus fidèle aux mêmes commerçants. Sa portée de trajet, quatre fois plus grande que celle d’un piéton, est bien moindre cependant que celle de l’automobiliste. Il a ainsi tendance à revenir aux mêmes endroits car sa capacité à comparer l’offre (notamment en termes de prix) n’est pas la même que celle de l’automobiliste.
Des conclusions très intéressantes à étudier au moment même où plusieurs collectivités françaises qui envisagent la création d’un réseaux express vélo ou du moins quelques axes structurants font face à l’opposition de certains commerçants (jamais tous…). Les arguments utilisés par les opposants (manque de compétitivité, problèmes d’accessibilité par la suppression du stationnement, risques de dévitalisation des centres), souvent relayés par les Chambres de commerces et d’industrie et les Chambres des métiers et de l’artisanat, ressemblent furieusement à ceux déployés lors de la création des premières aires et plateaux piétonniers dans les années 1970 à 1990 dans les villes françaises. Depuis, ces initiatives ont fait leurs preuves et n’ont jamais été remises en cause. Les collectivités ont pris vraiment conscience que la qualité de ces espaces publics et plus généralement l’amélioration de la cohabitation des usagers dans la rue constitue un puissant stimulant pour la fréquentation et la fidélisation dont bénéficient les commerces. En l’occurrence, il ne s’agit jamais de simplement bannir la voiture, mais de limiter sa place pour trouver enfin un juste milieu avec les impératifs de développement de la mobilité alternative, d’écologie, de qualité du cadre de vie.

Un vélo porte-livres, à Paris. Crédits photo : Emmanuel Marin,
CENTRES COMMERCIAUX, AUX MALHEURS DES VILLES
Ne faut-il pas regarder plus loin que sa rue pour trouver le coupable de la dévitalisation et des commerces qui périclitent ? La présence de trop nombreuses zones commerciales hors des centres, aménagements caractéristiques du zonage urbain (ségrégation des zones suivant leurs fonctions et usages), a eu des conséquences redoutables sur le dynamisme des centres. Les enseignes qui composent les galeries des centres commerciaux font souvent férocement concurrence à celles du centre, inévitablement plus accessibles (mais hélas, souvent pour les seuls automobilistes !), et parfois moins chères. Sans compter que les grandes surfaces sont toujours plus grandes et rivalisent de modernité architecturale. « Cette équation est dangereuse : vider même indirectement les enseignes du centre-ville, c’est affecter durement et durablement l’ensemble du tissu économique de la ville, qui voit son principal moteur décliner à travers la défaillance de ses vitrines« , note Franck Gintrand, éditorialiste des Echos. Or, la situation devient de plus en plus préoccupante, comme le soulignait déjà Challenges en 2014 : « le taux de vacance commerciale en centre-ville ne cesse d’augmenter, souligne l’UCV (l’Union du grand commerce de centre-ville) : une cinquantaine de villes moyennes françaises ont plus de 10% de leur pas-de-porte clos et sans enseigne« . En janvier dernier, le directeur de Procos Pascal Madry (Fédération pour l’urbanisme et le développement du commerce spécialisé) résumait la situation au journal La Dépêcheque «l’origine de la crise urbaine doit beaucoup au développement incessant des zones commerciales périphériques…»